Il était une fois au Japon un jeune homme nommé Masaru.
Masaru aimait voyager et se déplacer d’un village à l’autre ayant comme seul compagnon de voyage un bâton trouvé sur son chemin un jour de pluie. C’était un de ces jours où tout va mal et tout devient extrêmement difficile, même simplement respirer. Ce jour-là, sous une pluie battante, en chemin, Masaru aperçut cet étrange bâton: long, étroit, très droit. Il lui semblait parfait pour se soutenir pendant ses longues journées de marche où son corps commençait à céder sous le poids d’une fatigue insupportable, et le village suivant n’apparaissait pas encore à l’horizon. Il semblait si parfait qu’il décida de l’emporter avec lui et à partir de ce jour il devint son inséparable compagnon de voyage.
De nombreux soleils et lunes s’écoulèrent depuis, mais presque rien n’avait changé dans ses habitudes. Masaru continuait à voyager seul, il n’avait ni famille ni amis. Il se suffisait à soi-même et chaque fois qu’une difficulté se présentait, il était toujours capable de la résoudre avec son savoir-faire et l’aide du bâton. Il était en fait devenu très habile à l’utiliser, à tel point qu’il le sentait comme un véritable appendice de son corps … avec ce bâton il se sentait invincible, il pouvait se nourrir, se défendre des agresseurs, trouver de l’ombre aux beaux jours ou s’abriter les jours de pluie, soutenir son corps fatigué et même se confier à lui. Il était absolument autonome et avec ce mode de vie, il savait toujours ce qu’il fallait faire et quand.
Il avait développé une quantité infinie de certitudes, à tel point qu’il était involontairement agacé par la simple vue d’autres êtres humains avec leurs peurs, doutes, pertes, moments drôles de frivolité ou plein de rires inutiles. Il était maintenant considéré comme un vieillard raidi par le temps et par les difficultés. Il ne s’intéressait carrément pas du tout aux rumeurs du village, il n’avait aucun problème, il allait bien. Il n’y avait qu’un bruissement très ennuyeux, incompréhensible qu’il entendait de temps en temps depuis plusieurs années. Chaque fois qu’il avait entendu ce bruissement, même s’il se retournait rapidement à droite et à gauche, il n’avait rien vu du tout et était donc incapable de comprendre ni d’où il venait ni quelle en était la cause, pourtant ce son devenait de plus en plus présent.
Pendant tout ce temps, comme Masaru, même son fidèle bâton avait vieilli et étant devenu décidément trop rigide, un jour, en marchant sous le soleil brûlant d’août, le bâton se coinça dans une petite fissure dans le sol et en cédant sous le poids de son vieux et non plus agile maître, il se cassa soudainement en 2. Alors qu’il allait directement dans l’eau sale de l’étang au bord du chemin où il marchait, Masaru entenda à nouveau ce bruissement étrange, mais il n’eut pas eu le temps de se tourner nulle part, il était déjà en train de draguer le fond de l’étang avec les dents qui lui restaient dans la bouche.
Ce n’était certainement pas un coup facile à encaisser pour sa fierté désormais rigide et inflexible et il lui a donc fallu un certain temps pour se lever, mais une fois à quatre pattes dans l’étang, il finit par comprendre d’où venait cet étrange bruissement. En effet, reflété dans l’eau de l’étang, il vit une longue et robuste liane, très sinueuse qui, descendant de la branche d’un arbre s’arrêtait à quelques centimètres de son épaule gauche, suffisamment haute pour ne pas être vue sauf en regardant vers le ciel, chose que Masaru avait depuis longtemps arrêté de faire, se concentrant de plus en plus seulement sur ce qui était solidement ancré au sol.
Et c’est ainsi que, à quatre pattes dans l’eau sale, la bouche pleine de boue et le corps endolori par la chute, Masaru se souvint de toutes les autres fois où il avait entendu ce bruit étrange et c’est à ce moment-là qu’enfin il comprit. Au cours de sa vie, à plusieurs reprises, si seulement il avait détourné le regard «du sol» et regardé le monde avec plus de souplesse, il aurait pu s’épargner «une sonore chute».
Au détriment de notre sens rationnel, l’Univers nous dit souvent qu’une liane suspendue au ciel peut être meilleure qu’un bâton qui touche le sol … mais souvent, pour se rendre à l’évidence, des glissades acrobatiques et répétitives peuvent être nécessaires!